Le Mobilier national, dans les coulisses du garde-meubles de la République

Chaque mois, le RDV inter-blogueurs #EnFranceAussi, initié par Sylvie, du blog Le coin des voyageurs, vous propose de (re)découvrir la France à travers un thème.
Ce mois-ci, Inès, du blog Les Millet du 62, nous a fait plancher sur la passion. D’emblée, le Mobilier national est venu à moi comme une évidence. Bien caché derrière la plus célèbre de ses manufactures, le lieu regroupe des artisans d’art passionnés qui créent, restaurent, conservent un patrimoine exceptionnel.

 

Samedi 21 septembre 2019, 9h15. La file de visiteurs s’allonge déjà le long du square qui jouxte les austères bâtiments du Mobilier national. Si la foule s’est donné rendez-vous aussi nombreuse de bon matin, c’est que le lieu est rarement ouvert à la visite. Alors forcément, au premier jour des Journées européennes du patrimoine, il y a du monde.

A vrai dire, je ne savais pas trop à quoi m’attendre en pénétrant dans l’édifice de style Perret. Une grande collection de meubles plus ou moins anciens et puis c’est tout. J’y ai découvert une atmosphère étrange dans des salles immenses où s’alignent, sur des étagères en métal façon magasin de bricolage, des bureaux, chaises et autres canapés qui ont traversé l’histoire de France. J’y ai rencontré des artisans d’art, petites mains de la République qui rendent leur lustre d’antan à des meubles destinés, un jour peut-être, à retrouver les ors des ministères et des ambassades. J’y ai mesuré la patience et l’excellence de celles et ceux qui, aujourd’hui encore, donnent vie avec passion à de nouvelles œuvres, au moyen de techniques ancestrales comme d’un matériel high tech.
Bref, j’ai rarement été aussi enthousiasmée par une visite à l’occasion des Journées du patrimoine.

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Dès le début de la visite, le ton est donné. Dans une vaste pièce qui pourrait faire figure de « salle d’apparat », des meubles anciens sagement alignés jurent avec le revêtement en ciment brut. Ce mobilier de prestige, nous avons l’habitude de l’apercevoir dans des châteaux, au milieu d’élégantes salles au décor raffiné qui donne l’illusion que rien n’avait bougé depuis des lustres. Ici, au Mobilier national, il côtoie le banal. Entreposé sur des étagères en métal aux couleurs criardes comme n’importe quel meuble en contreplaqué de chez Casto. Et parfois, parmi ces collections en dormance, un discret écriteau t’indique que tu te trouves face à l’ancien bureau du président Carnot ou au trône de l’empereur François-Joseph.

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La scène est encore plus surréaliste dans les sous-sols du bâtiment principal, où les rayonnages prennent des dimensions ahurissantes. C’est que le Mobilier national dispose de riches collections. Très riches même. 130 000 pièces datées du XVIIe au XXIe siècle s’accumulent sans chichis dans des entrepôts sans âme mais non sans dimension historique. Dans une salle à part, des centaines de rouleaux de tapisseries issues des manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais ou de la Savonnerie sont soigneusement conservées. Des œuvres d’art par milliers qui n’attendent qu’une chose, retrouver la lumière des grands monuments. Car le Mobilier national est avant tout un garde-meubles. Et quel garde-meubles ! Ici, on fournit les palais de la République et les musées, exclusivement.

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L’Institution assure cette mission de garde-meubles du pouvoir depuis plus de trois siècles déjà. Créée sur ordre de Louis XIV et Colbert, le « Garde-meuble de la Couronne » avait pour mission de gérer le patrimoine mobilier de la famille royale. A l’époque, en plus de l’inventaire, de l’entretien et de la création de nouveaux meubles, le service était chargé de transporter le mobilier de château en château, au rythme des visites du Roi et de sa cour dans ses résidences secondaires, qui n’étaient pas meublées en permanence. Le Mobilier national, qui a pris la suite en 1870, a conservé la plupart de ces missions originelles. Au vu de l’historique de l’institution, il constitue la mémoire vivante de l’ameublement des lieux de pouvoir en France.

Mais revenons à cette grande salle d’apparat. Au milieu de la pièce, une petite tribune a été installée pour admirer un nouveau venu, le tapis de chœur de Notre-Dame, celui qui ne sort qu’aux grandes occasions. S’il n’a pas souffert de l’incendie, l’immense tapis réalisé au XIXe siècle dans les ateliers de la Manufacture de la Savonnerie demande que des mains expertes se portent à son chevet.

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Réparer les outrages du temps ou les accidents de parcours : c’est là la deuxième grande mission du Mobilier national. Le bâtiment Perret comporte ainsi plusieurs ateliers de restauration, regroupant les différents corps de métiers du meuble. Tapis et tapisseries, ébénisterie, menuiserie, lustrerie-bronze… les salles s’égrènent et les artisans d’art travaillent sous les yeux curieux des visiteurs du jour. L’excellence et la patience à l’œuvre. Un travail de précision, minutieux. Un savoir-faire ancestral qui se transmet de génération en génération. Un moment d’échange extraordinaire où l’on mesure toute la passion qui anime ces véritables artistes du meuble.

Les salles dédiées à la restauration sont tantôt envahies d’un bric-à-brac d’outils, tantôt habillées de jolis nuanciers de pelotes de laines. Quelques éléments de déco, des vieux rouages ou autres traces du passé ont été disséminées ça et là pour agrémenter le parcours de visite. Une ambiance « à l’ancienne » où le temps semble suspendu.

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Dans l’atelier de restauration des tapisseries
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Le bric-à-brac de l’atelier de restauration des lustres et des bronzes

Le temps. Ici, au Mobilier national, il prend une toute autre dimension. Des ateliers de l’institution sortent régulièrement de nouvelles œuvres. Tenez, les tapisseries. Les trois Manufactures nationales dédiées les produisent sur commande. Des œuvres souvent monumentales, créées entièrement à la main selon les techniques ancestrales : haute lice aux Gobelins, basse lice à Beauvais, et les spécificités propres de la Savonnerie, qui exerce sur métiers verticaux. Une véritable école de la patience et de l’excellence. La plupart des œuvres nécessitent plusieurs années de travail, ce qui n’a pas manqué de susciter quelques surprises parmi les visiteurs venus découvrir les secrets du plus chic des garde-meubles.

Si l’essentiel de la production est assuré au sein de la Manufacture voisine des Gobelins, le site du Mobilier national dispose de quelques métiers à tisser dans ses propres locaux. En ce week-end de Journées européennes du patrimoine, les liciers étaient au travail, pour montrer et expliquer les techniques employées dans ces fabriques d’exception. Modèle calé derrière la trame, les tapissiers suivent à la lettre les indications techniques reportées avec précision sur ces « calques ». Le geste est précis, répétitif. Le tissage de tapisserie est un travail de patience et l’on ne peut qu’être admiratif en pensant que celles et ceux qui travaillent à la création de ces œuvres monumentales ne verront le fruit de leur travail que de longues années après avoir commencé. On imagine aisément l’émotion qui doit frapper l’ensemble des personnels des manufactures nationales le jour de la « tombée de métier », ce moment où la tapisserie est retirée du métier à tisser.

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Photos interdites au niveau des métiers, on continue dans les ateliers de restauration
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Photos interdites au niveau des métiers, on continue dans les ateliers de restauration

A chaque technique ses spécificités, et c’est avec pas mal de compassion que l’on pense aux spécialistes de la haute lice, qui travaillent dos aux grandes fenêtres – la vue sur Paris y est pourtant magnifique -, assis de façon bien peu confortable sur de minuscules sièges, le nez collé à la tapisserie au point de ne laisser que peu de place pour les jambes. Et que dire de celles et ceux qui travaillent en basse lice, sans cesse penchés sur leur ouvrage et concentrés sur leur modèle présenté à l’envers, jetant un coup d’œil régulier au miroir qui remet dans le bon sens leur ouvrage.

La création ne se limite pas à la tapisserie. Depuis 1964, l’ARC, l’Atelier de recherche et de création, a pour mission de confier à des concepteurs contemporains le design et la réalisation de meubles ou des ensembles mobiliers. Certaines de ces œuvres modernes sont d’ailleurs exposées dans la salle attenante à la salle d’apparat. Sous nos yeux, un joyeux mélange de styles, de matières, de couleurs. Sur les pièces les plus remarquables, on prend conscience de la haute technicité employée pour créer ces meubles. Tiens, le bureau de François Mitterrand signé Pierre Paulin était très minimaliste ! Quelques notices explicatives donnent des éléments d’information fort intéressantes sur les commandes ou les techniques employées par l’ARC.

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On retrouve la partie « créa » dans les sous-sols de l’institution, dans cet immense hangar qui héberge le gros des collections. Quelques équipements derniers cri, machines à commande numérique, permettent aujourd’hui de créer des pièces en bois avec une très haute précision. Si le Mobilier national est le garant des techniques ancestrales, il sait aussi évoluer en fournissant aux concepteurs les équipements high tech nécessaires pour créer. Rester à la pointe de l’excellence et du prestige et promouvoir un style contemporain « à la française » sont les principales raisons qui ont motivé André Malraux à fonder l’Atelier de recherche et de création du Mobilier national.

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La visite s’achève par les étages du bâtiment annexe, là où se trouvent les quelques métiers à tisser. Ici, on forme aux métiers de licier et de restaurateur de tapis et tapisserie. Les élèves ont quatre ans pour se former aux différentes techniques de tissage (haute-lice des Gobelins, basse-lice de Beauvais et Savonnerie pour les créations en velours) et obtenir leur Brevet de métier d’art (BMA). Ils sont l’avenir du Mobilier national. Ce sont eux qui remplaceront, quand l’heure de la retraite sonnera, les restaurateurs et tapissiers de l’institution et de ses trois manufactures (Gobelins, Beauvais, Savonnerie). Outre l’apprentissage des techniques traditionnelles, la période de formation est aussi le moment idéal pour tester la patience des futurs professionnels. La minutie de ces métiers est telle que seuls les plus passionnés d’entre eux iront au bout du cursus. Si j’ai bonne mémoire, ils sont une quinzaine d’élèves répartis sur les quatre ans de formation. Une quinzaine de jeunes prêts (ou plutôt prêtes parce qu’on y croise souvent des jeunes filles) à reprendre le flambeau de la tradition française de la tapisserie.

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Des petits métiers à tisser permettent d’entraîner les élèves aux techniques de tapisserie
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Goût du dessin et patience sont les qualités requises pour intégrer la formation

Je quitte les lieux en fin de matinée des étoiles plein les yeux, impressionnée par la richesse des collections et l’ampleur des missions dévolues au Mobilier national. J’y ai mesuré le grand soin apporté à la préservation d’un patrimoine national hors du commun et la patience et la méticulosité de ces « petites mains de la République ». J’y ai surtout ressenti la passion extrême de tous ces artisans d’art qui perpétuent les techniques ancestrales ou contribuent au renouveau de la création de meubles d’exception.

Je ne saurais trop vous conseiller d’aller découvrir par vous-même le Mobilier national lors d’une prochaine édition des Journées du patrimoine. Et, si vous n’avez pas l’occasion de vous rendre à Paris, n’hésitez pas à aller vous perdre dans le site internet du Mobilier national (je vous préviens, vous prenez le risque d’y rester des heures!). Vous y apprendrez des tas de choses passionnantes (et le site est très bien fait).

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Dans les ateliers de restauration, un ébéniste au travail

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Visiter le Mobilier national

Contrairement aux manufactures qui y sont rattachées, les bâtiments principaux du Mobilier national sont rarement ouverts au public. Pour en découvrir ses secrets, tu auras le choix entre :

  • Une visite libre dans le cadre des Journées européennes du patrimoine
  • Une visite guidée exclusive des réserves proposée par Cultival, pour un tarif de 22€ → plus d’infos sur ces visites guidées

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16 commentaires sur “Le Mobilier national, dans les coulisses du garde-meubles de la République

  1. Quelle magnifique découverte. Voila un article qui a bien sa place dans le thème de la passion. Travail titanesque dont on a que rarement conscience. Heureusement que des visites permettent de saluer et rendre hommage à toutes ces mains.
    Merci Delphine.

    1. Merci Sabrina pour ton adorable commentaire. On a bien ri quand un visiteur a posé la question « Vous avez déjà réalisé combien de tapisseries » à une jeune licière, en poste depuis quelques années seulement. C’était sa première. Je crois qu’elle sera terminée dans 10 ans !

    1. C’était passionnant ! C’est vrai qu’il y a une telle offre pour les Journées du patrimoine à Paris qu’on ne sait jamais trop quoi choisir. Pour ma part, c’était ma première JEP dans la capitale et je ne le regrette pas.

    1. Il y avait certes du monde mais à part la salle d’apparat et quelques ateliers assez étroits, je n’ai pas été gênée plus que ça par le monde. Du moins, l’intérêt de la visite était largement supérieur à la gêne occasionnée par la foule.

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