
Chaque mois, le rendez-vous inter-blogueurs « En France aussi », initié par Sylvie, (« Le coin des voyageurs »), vous emmène visiter la France autour d’une thématique. Pour ce mois de juillet, Eimelle Laure, du blog « Les carnets d’Eimelle », nous propose de faire un tour de France des 7 péchés capitaux. Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles sur ce thème sur cette carte publiée sur le site En France aussi. Ceci est ma modeste contribution.
Aujourd’hui, j’avais envie de vous conter l’histoire d’une cathédrale. Oh, pas n’importe quelle cathédrale ! MA cathédrale. Celle que je vois depuis mon balcon. Celle dont le carillon rythme la vie de ma ville. Cette cathédrale, c’est Saint-Pierre de Beauvais, l’une des plus belles incarnations du péché d’orgueil à travers les siècles.
Voilà la fascinante histoire d’un phénix un poil présomptueux, mais qui fait la fierté de toute la ville.
Péché d’orgueil n°1 : le concours de biiiiip
Nous sommes en novembre 1225. J’imagine les hommes et les femmes de l’époque pester contre le brouillard tenace qui règne ce matin-là (il devait y avoir du brouillard, il y en a presque tous les jours de novembre en Picardie). Mais ce brouillard a un je-ne-sais-quoi différent. Il est un peu sombre et porte une odeur âcre. Un incendie ! La vieille cathédrale de style carolingien tardif est en train de flamber, et les dégâts sont considérables.
L’évêque de l’époque y voit une formidable opportunité pour bâtir une nouvelle cathédrale. Et surtout de briller en société. Qu’à cela ne tienne, SA cathédrale sera la plus grande de toute la chrétienté (rien que ça) ! Vu les querelles de clocher entre les évêchés au XIIIe siècle, il n’était de toute façon pas concevable de faire plus petit qu’Amiens, qui était alors ce qui se faisait de plus vaste dans le monde gothique à l’époque.

Au caprice d’un évêque s’ajoutera une vision un tantinet audacieuse et optimiste des bâtisseurs de cathédrale, et voilà les conditions réunies pour un premier epic fail. Douze ans seulement après l’achèvement du chœur, patatras ! Une tempête exceptionnelle. Le vent, d’une puissance inquiétante, fait vaciller quelques arcs-boutants. L’épaisseur de ceux-ci avait été réduite pour faire entrer davantage de lumière. Mauvais choix. Avec une telle hauteur, l’édifice offrait une prise au vent importante et nécessitait au contraire une structure renforcée. Des dégâts sur un arc-boutant déstabilisent la cathédrale, qui se résume alors à son seul chœur, et entraîne l’effondrement de quelques contreforts et de la plus haute voûte gothique au monde (48,5 mètres – à titre de comparaison, Notre-Dame de Paris est à 33 mètres). On doublera alors les travées du chœur pour consolider l’ensemble de la structure du bâtiment sacré. Ces travaux seront achevés en 1347.
Dans leur course au gigantisme et à l’audace, les architectes du Moyen-Age avaient repoussé les limites techniques un peu trop loin.

Péché d’orgueil n°2 : une flèche pas vraiment à la hauteur
Epidémies, Guerre de cent ans, siège de la ville…, une longue période trouble stoppe net l’avancement des travaux de construction. Le XVe siècle s’achève et la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais se résume toujours au chœur (le plus haut du monde) et à l’abside. En 1500, on décide enfin d’édifier le transept. Cela prendra une bonne cinquantaine d’années. Lui aussi s’élève à 48,5 mètres, comme le chœur. Celui-ci demeure fragile, et il serait raisonnable d’achever la nef de la cathédrale pour stabiliser l’ensemble de l’édifice.
Au lieu de cela, le chapitre de la cathédrale préfère ajouter une flèche gigantesque au-dessus du chœur, histoire de rendre visible le lieu de culte d’encore plus loin (foutu orgueil). En 1569, St Pierre de Beauvais culmine désormais à 153 mètres de haut, un record mondial pour un édifice religieux. Record qui tombera 4 ans plus tard suite à… l’effondrement de ladite flèche. Nous sommes en 1573 et les fidèles sortaient à peine de la messe de l’Ascension. C’est un véritable miracle que la catastrophe ne fasse aucune victime.

Les dégâts du deuxième effondrement auront raison des projets d’achèvement de la cathédrale. Le coût des réparations est trop élevé pour envisager de poursuivre la construction de la nef, qui ne comporte alors qu’une unique travée. La cathédrale est fermée par une haute palissade en bois, couverte d’ardoises à l’extérieur. Il y aura bien des projets de reprise des travaux au XIXe siècle, mais ils resteront sans suite. Tant mieux pour nous, cela nous permet aujourd’hui admirer le superbe palais épiscopal (aujourd’hui Musée de l’Oise) et sa voisine la Basse-Œuvre, l’ancienne cathédrale du Xe siècle dont il reste 3 travées (sur les 9 originelles).

Péché d’orgueil n°3 : les tirants pas très attirants
J’ai grandi dans cette ville avec cette folle rumeur en toile de fond : la cathédrale Saint-Pierre serait en train de s’écrouler. J’ai toujours entendu dire que c’était parce que la cathédrale est bâtie sur un sol marécageux. Il n’en est rien, les fondations sont bien solides. Les fissures apparues à la fin du XXe siècle sont là encore le résultat d’un double péché d’orgueil. Celui d’Aymar Verdier et de ses dignes successeurs des années 1960.
Aymar Verdier était un architecte du XIXe siècle. On l’a chargé de restaurer la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais. Et il prit la pire décision de sa vie : monsieur décida de retirer une partie des tirants de fer qui reliaient les arcs-boutants entre eux, parce que soi-disant ça faisait moche. Cet architecte devait certainement ignorer que leur existence participait à la stabilité générale de l’édifice.

Ses camarades des années 1960 lui ont emboîté le pas en supprimant les derniers tirants, jugés inutiles (la bonne blague) et inesthétiques. 20 ans plus tard, des fissures inquiétantes apparaissent au niveau du transept de la cathédrale. Dans le milieu des années 1990, on installe d’impressionnantes poutres en bois pour étayer les piliers du transept. Les tirants sont progressivement réinstallés au début des années 2000, permettant à la cathédrale de retrouver un semblant de stabilité. Et oui, les tirants métalliques limitent les oscillations du bâtiment en cas de forts vents.
Bref, cela fait beaucoup de temps, d’argent et d’énergie dépensés pour un simple problème d’orgueil, vous ne trouvez pas ?

A vous de jouer !
Maintenant que les présentations sont faites, je vous propose un petit jeu. Rendez-vous à la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais et observez. Observez bien hein ! On y voit encore clairement les traces des vicissitudes de la cathédrale, indices visibles des péchés d’orgueil qui s’y sont succédé (zut, la règle de l’accord du participe passé sur les verbes pronominaux m’échappe ; veuillez m’excuser si la langue française a été écorchée dans cette phrase).
N’hésitez pas à me dire en commentaire si vous en avez trouvés. 😊

Bon, ce petit jeu est surtout un prétexte pour vous inciter à découvrir cette merveille gothique et atypique. Outre la hauteur inégalée de son chœur, la cathédrale renferme plusieurs joyaux.
On doit l’attraction la plus spectaculaire de la cathédrale Saint-Pierre à Auguste-Lucien Vérité, horloger beauvaisien du XIXe siècle. 12 mètres de haut, 5,12 mètres de large, 53 cadrans, 63 automates, près de 92 000 pièces et 15 moteurs pour faire fonctionner le tout et un inimitable style romano-byzantin : voilà les mensurations de l’horloge astronomique de Beauvais, probablement l’œuvre la plus aboutie de l’horloger (et la plus belle de France amha, hashetague chauvinisme). Un véritable bijou qui s’anime une fois par heure en faisant vivre aux spectateurs ébahis la scène du jugement dernier au moyen d’un ingénieux système d’automates.

Juste à côté, il est une petite horloge un peu oubliée, méprisée par la plupart des visiteurs qui la trouvent bien pâlichonne à côté de la spectaculaire horloge astronomique. Elle est pourtant la plus ancienne horloge médiévale à carillons toujours en état de marche.
Déambulez dans le déambulatoire pour admirer les vitraux. Si certains ont beaucoup souffert de la guerre, il en demeure quand même de jolis spécimens anciens.
Il vous reste à découvrir le cloître, tout mimi avec son appareillage en briques et son petit jardin.

Visiter la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais : infos pratiques
Heures d’ouverture :
- du 1er avril au 30 septembre : 10h – 18h15
- du 1er octobre au 31 mars : 10h – 12h15 / 14h – 17h15
Visite libre. L’office de tourisme du Beauvaisis propose, en été, des visites avec guide conférencier pour la modeste somme de 5€ .
Pour assister au spectacle de l’horloge astronomique : séances à 10h30, 11h30, 12h30 (d’avril à septembre uniquement), 13h30 (d’avril à septembre uniquement), 14h30, 15h30, 16h30
De 3 à 5€ la place (achat des billets à l’intérieur de la cathédrale)

Conseil gratos : le meilleur moment pour visiter la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais est lors des Journées européennes du patrimoine. L’association Beauvais Cathédrale, qui gère les visites, ouvre généralement l’accès aux grandes orgues ce jour-là (avec un guide), ce qui vous permet de profiter d’un point de vue inédit et spectaculaire sur le chœur. C’est aussi le seul jour où vous pourrez accéder à ND de la Basse-Œuvre (ce qu’il reste de l’édifice carolingien tardif d’origine).
Cerise sur le gâteau, vous pourrez admirer, la nuit tombée, le sublime son et lumière de Skertzò sur la façade.
A voir aussi dans la région
- Gerberoy, l’un des plus beaux villages de France
- Le château de Pierrefonds ou la réinvention du château médiéval
- Amiens, Mers-les-Bains, une idée week-end dans la Somme
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Cet article est génial ! Un régal ! Merci et bravo.
Un grand merci pour ton commentaire. Ça me fait très plaisir venant de toi, qui écris toujours des articles impeccables.
j’adore! Et avec de très belles photos en prime!
Merci ! Pourtant, la plupart des photos ont été faites à l’arrache samedi soir, en attendant un défilé médiéval (c’était la fête à Beauvais) 🙂
Ces photos et cette lumière… Je me régale du texte et de la vue de ces arcs brisés de toute beauté (je suis ultra-fan du style gothique !!).
Pour manger du gothique matin midi et soir, un petit tour en Picardie ne serait pas de trop (si ce n’est déjà fait) ! C’est ici qu’on trouve la plus belle concentration de cathédrales gothiques. Celle d’Amiens est remarquable, et c’est de loin ma préférée. Et, un peu plus loin, que dire du Duomo de Milan, où il faut absolument monter sur le toit (à pied, pas par l’ascenseur) pour profiter de vues impressionnantes sur les dentelles de pierre ?
merci pr la découverte
je ne suis jamais venue dans le centre ville d’Amiens
mon seul passage était pour aller à l’aéroport loool
Tu veux dire Beauvais ? Beaucoup de gens ne vont qu’à l’aéroport on voit rarement des touristes en ville lol
Vraiment superbe cette cathédrale, que j’ai eu la chance de visiter quand j’habitais autrefois en Picardie. L’horloge est étonnante aussi, et d’une complexité incroyable. C’est vrai que cette région possède de très belles cathédrales gothiques. J’aime beaucoup aussi celle de Reims. Merci pour ce beau reportage.
C’est vrai que le mécanisme de l’horloge est extraordinaire. Lors d’une précédente Nuit des musées, un guide m’a montré le soubassement, avec la fosse pour les contrepoids qui n’est pas alignée avec l’horloge (l’horloge a été tournée d’un quart de tour). Il y a tout un système de poulies à l’intérieur pour que ça fonctionne.
L’histoire de ta cathédrale (que je ne connaissais pas, en passant) est incroyable! Et ton article donne très envie d’aller voir tout ça de plus près!
Merci Annabelle ! Si un jour tu viens dans le coin, fais-moi signe, je te montrerai (non sans t’avoir fait chercher auparavant) les signes des effondrements successifs.
C’est toujours drôle de voir à quel point les lieux de culte ne reflètent pas l’humilité « supposée » des religieux… même si ça donne de beaux résultats niveau architecture 🙂
Oui. Ça me faisait marrer d’associer cette cathédrale, à l’histoire si particulière, avec un péché capital.
Merci pour cet article, c’est passionnant!
Merci de votre visite 🙂
Magnifique, je ne connais pas du tout la ville, et pas du tout l’histoire très mouvementée de cette cathédrale ! 😀
La ville est peu touristique mais possède quelques sites intéressants. La cathédrale est à voir pour sa hauteur et surtout pour son horloge astronomique qui est vraiment splendide.
Quelle histoire fabuleuse. Merci Delphine, ta cathédrale est superbe. Et oui un chouilla orgueilleuse.
Merci Sabrina de ta visite. Ce n’est pas la plus belle des cathédrales gothiques (j’ai un faible pour celle d’Amiens) mais j’aime son côté “pas comme les autres”. J’adore surtout le fait de pouvoir observer de visu les conséquences de ces déboires sur l’architecture de cette cathédrale. Il y a plusieurs indices et c’est un jeu de les trouver.
Superbe cathédrale que je n’ai pas encore pu visiter ! J’ai encore beaucoup de chose à découvrir dans l’Oise.
Tiens, d’ailleurs, je file voir ton article sur Gerberoy !
Bonjour Guillaume, bizarre, ton commentaire était classé dans les “indésirables”, comme ton commentaire sur Gerberoy d’ailleurs ! Désolée, je viens seulement de le voir. La cathédrale surprend par sa hauteur et sa forme ramassée. Même si elle fait partie de mon quotidien, je n’y entre que très rarement.