Lettre à Lisbonne

Bleue, festive, mélancolique, douce,… Les qualificatifs ne manquent pas pour exprimer toute la richesse de Lisbonne. Mais derrière le duo cliché azulejos – bars à fado se cache un trésor bien plus inestimable à mes yeux, l’accueil chaleureux et la générosité de ses habitants.

Ma très chère Lisbonne,

Déjà cinq ans que nous nous sommes rencontrées, mais jamais je n’avais encore trouvé la clé pour parler de toi. Je ne sais pas ; avec toi c’était différent, aucun mot ne parvenait à te décrire. Et puis, grâce à un billet de La p’tite famille baroudeuse, j’ai compris. Toi seule as su nous offrir autant de moments impromptus qui resteront davantage gravés dans nos mémoires que toutes les nuances de bleus de tes azulejos réunis.

Au-delà de tes azulejos, de tes miradouros, de tes églises baroques et de tes pavages merveilleux, tu m’as offert ce délicieux sentiment de me sentir ici comme chez moi

Quand on a débarqué dans un Alfama en fête, tu t’étais parée de tes plus beaux atours ; stands colorés, guirlandes en papier crépon et musique joyeuse hurlant à tue-tête jusqu’à pas d’heure. Alors, on a boudé les bars à fado pièges à touriste au profit de ces stands où l’on mange et l’on boit pour pas cher. Je t’avoue qu’on n’a pas regretté une seule seconde. Le verre de ginginha savouré sur les marches de l’église de São Miguel en regardant danser quelques passants un peu pompètes, c’était une bonne entrée en matière pour faire connaissance avec la douceur de vivre lisboète. Et puis il y a eu ce repas ! Un banquet d’Astérix à la sauce portugaise, le sanglier et la cervoise en moins, les sardines grillées et le vin blanc en plus. Quand tu as vu nos assiettes vides parce qu’on s’était loupées sur la quantité de sardines, tu nous as envoyé des voisins de table providentiels. Voilà, c’est ça que j’ai aimé chez toi, ce sens du partage, de la générosité.

Et tant pis si le quartier est magnifique, qu’on y trouve encore des rues désertes dans ce labyrinthe à haut potentiel touristique, qu’on y admire l’un de tes plus beaux panoramas au Miradouro de Santa Luzia ou qu’on tombe sur un étonnant terrain vague orné de street art en montant vers le Castelo ! Nous, ce qu’on retiendra de l’Alfama, c’est cette magnifique soirée de juin partagée dans la joie et la bonne humeur avec les habitants du quartier.

Tiens, c’est comme à Belém ! On a eu beau admirer la beauté immaculée de sa tour éponyme, pieds baignant dans l’eau du Tage, ou la précision du travail de la pierre au monastère des Hiéronymites, nous, ce qu’on a préféré, c’est ce pastel de nata des Pastéis de Belém dégusté sur un banc devant le joli pavillon thaï du jardin attenant. On avait encore ce petit goût de cannelle en bouche quand tu as décidé de nous punir de ce péché de gourmandise. Tu le sais toi, que Belém, c’est loin du centre ville ; et il a fallu que tu nous fasses le coup de la panne ! Je crois que tu voulais qu’on découvre un bout de toi un peu ignoré. Oh bien sûr, on a pesté au début, et même si on a fini les pieds en compote, on a quand même apprécié ce grain de sable dans les rouages de notre journée ultra minutée. D’ailleurs, on serait probablement passées à côté du look so Frisco du Ponte do 25 de abril, du dépôt du tram 28 (à défaut de l’avoir pris), et d’un fou rire mémorable devant cette façade toute redécorée de papier crépon aux couleurs criardes.

A vrai dire, je ne me rappelle plus très bien par où on est passées ensuite, si ce n’est que c’était rempli de murs décrépis et d’un trop grand nombre de voies pour les voitures. A quel moment on a bifurqué pour retrouver l’instinct grégaire du touriste à l’Ascensor da Bica ? Je l’ignore ! Ce que je sais, c’est qu’on a terminé dans un bar aux côtés de supporters portugais médusés de voir leur équipe déjouer face à une modeste équipe de Hongrie. La suite on la connait. Le Portugal si peu convaincant finira par battre la France en finale de cet Euro 2016 qu’on aimerait bien oublier.

A propos de foot, toi qui as l’habitude de te déchirer entre Sporting et Benfica, tu avais cette fois réuni tout le monde à la Praça do Comércio pour supporter la Seleção das Quinas. Au calme relatif et à l’élégance de tes façades jaunes ornées de colonnades succédait en soirée la ferveur des supporters. Bonne pâte, tu avais même offert aux touristes de passage la possibilité de suivre leur équipe favorite. Happées par ce « panem et circenses » footballistique, on n’avait pas vu le temps passer, au point de compromettre notre repas du soir. Et toi, tu as mis sur notre chemin cette petite tasca sans prétention qui nous aura offert la soirée la plus mémorable de notre séjour. Jamais ô grand jamais nous n’avions connu pareille comédie. Un cuisinier parti, un patron qui s’attable à nos côtés, un serveur qui revient sans cesse avec de nouvelles bouteilles et de nouvelles assiettes surprise et qui finira par s’asseoir avec nous, faisant office de traducteur portugais-français. Vin rosé, porto, ginginha, beirão, je crois que toute la panoplie d’alcools portugais y est passée, en même temps que les photos de famille du patron, pompier de son état, qui avait sûrement besoin de parler. On est reparties avec un sourire jusqu’aux oreilles et délestées de la modique somme de 3,80 € (ou un truc dans le genre, en tout cas ça faisait moins de 5 euros) et on s’est dit que ta générosité te perdra.

L’anecdote nous ferait presque oublier l’effervescence dans laquelle baigne ce quartier de Baixa tout au long de la journée. Dans tes ruelles tracées au cordeau, on entendait davantage parler français, anglais, allemand que portugais, et c’est à ce moment-là qu’on a compris que tu étais vraiment LA ville à la mode. De ce coin de toi, j’ai surtout retenu l’élégance incomparable de tes pavages dont un grand nombre de villes françaises feraient bien de s’inspirer. Chez toi, ma chère Lisbonne, le spectacle se joue aussi au sol. Les vagues noires et blanches de la praça Dom Pedro IV, les entrelacs de la Praça da Figueira, les motifs délicats de la Rua Augusta dont la perspective aboutit à ton emblématique Arc de triomphe sont autant de plaisirs que les variations de bleus de tes azulejos.

Alors on a voulu changer de perspective, te voir de plus haut. On a entamé le pèlerinage des miradouros, notre chemin de croix en 6 stations à travers les différents points hauts de la ville, tout en esquivant la file de touristes sagement rangée devant l’entrée de l’elevador de Santa Justa. Mais de tes hauts quartiers, j’ai surtout aimé la douceur de vivre qui règne à Principe Real. Le belvédère ombragé de São Pedro de Alcântara. Les arbres remarquables du Jardim do Principe Real à l’ombre desquels se laissent aller les Lisboètes. Et puis les papillons du Jardin botanique. C’est là, dans ce grand parc qui nous a offert une respiration salutaire dans notre frénésie de découvertes, que je me suis dit que tu respirais quand même sacrément la douceur de vivre.

Dans un ultime élan de motivation, on a bouclé la boucle en arpentant les ruelles colorées de Graça et de la Mouraria, l’autre quartier du fado. C’est drôle, parce que du fado, nous n’aurons absolument rien entrevu. Trop attendu. Pas assez d’envie non plus. En revanche, nous n’oublierons pas ce dernier feu d’artifice de papier crépon à la Vila Berta et ce petit mot d’au-revoir du miradouro de Montes, bienveillant, comme toujours.

Tu as même eu l’audace de nous offrir une ultime surprise alors qu’on était à quelques minutes du départ. Tu savais au fond de toi qu’on n’avait pas envie de te quitter. Alors tu as pris soin de ne pas afficher notre avion à l’aéroport, de nous faire attendre de longues heures une hypothétique place dans un hôtel qui ne viendra jamais, le service après-vente de cette compagnie low cost ayant décidé de nous mener en bateau jusqu’au bout (à défaut de nous avoir menées en avion jusqu’à destination). Alors tu nous as envoyé cette camarade de galère qui a fini par prendre les choses en main et réserver des chambres à tire-larigot pour une quinzaine de voyageurs en carafe. Et nous parmi les 15. On s’est retrouvées dans un quartier qu’on n’avait pas prévu de visiter, à rigoler tous ensemble de notre temps additionnel avec toi devant deux énormes brocs de sangria. Une sortie en matière inoubliable, au milieu des buildings ultra-modernes du Parque das Nações.

Alors tu vois ma chère Lisbonne, malgré ces cinq années passées depuis notre rencontre, je n’ai rien oublié de tout cela ! Peut-être parce qu’au-delà de tes azulejos, de tes miradouros, de tes églises baroques et de tes pavages merveilleux, tu m’as offert ce délicieux sentiment de me sentir ici comme chez moi.

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7 commentaires sur “Lettre à Lisbonne

  1. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup à voir à Lisbonne ! 🤩
    En général, je prend quelques congés en septembre.
    Peut-être sera-ce cette année au Portugal… Je garde ton article sous le coude, au cas où…

    1. Oh oui ! En 5 jours, nous n’avons que survolé une petite partie de la capitale (sachant qu’on a « dépensé » une journée à Sintra). Les quartiers de l’hyper-centre sont très différents et tous animés. On a quasi tout fait à pied (sauf pour nous rendre à Belém, qui est vraiment éloigné du centre ville)

  2. En voilà une belle déclaration d’amour à Lisbonne !
    Trouver les mots pour écrire sur une destination qui nous a profondément touché prend parfois du temps… mais le résultat est là, un très beau billet rempli d’émotions et de sourires !

    1. Merci Pauline de ta visite. J’en garde encore un souvenir tendre, même si le séjour s’est terminé en eau de boudin avec un vol annulé et une galère pour rentrer en France sans encombres.

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