Bleu Méditerranée, ou l’éloge du voyage lent

Dans ce premier épisode #EnFranceAussi de 2021, qui explore toutes les nuances de bleu si je suis bien le thème du mois choisi par Tiphanya, du blog Avenue Reine Mathilde, je t’emmène en mer. Oh n’imagine pas monter sur un élégant voilier en bois ! Non, mon bateau à moi est très grand, pègue du bastingage et pue le mazout. Je t’embarque sur le ferry qui fait la traversée entre la Corse et le continent, d’où tu auras tout le loisir de profiter du bleu profond de la Méditerranée. Un mode de transport que je préfère largement à l’avion, et je vais t’expliquer pourquoi.

« L’équipage au poste de manœuvres, l’équipage au poste de manœuvres ! »

Ces quelques mots que ma sœur et moi attentions comme le messie, c’était le signal du départ. Nous partions toujours de nuit, ça nous laissait le temps de faire la route jusqu’à Marseille, et puis le sommeil nous permettait de ne pas trouver la traversée trop longue. Nous avions nos habitudes à la SNCM, dont nous connaissions l’essentiel de la flotte qui desservait la Corse. La disparition de la compagnie maritime a été pour moi un coup de poignard en plein cœur.

Le Danielle Casanova (2e du nom) dans sa livrée SNCM.

Cette traversée, c’était mon moment préféré du voyage. Entendre les bruits des machines pendant les manœuvres, voir les lumières de Marseille scintiller sur le rivage, regarder l’écume le long de la coque contraster avec l’eau bleu-noir dans l’obscurité de la nuit, prendre un cocktail au bar, se hisser jusqu’à la couchette du haut, se réveiller très tôt pour guetter les îles Sanguinaires, et voir le navire accoster à Ajaccio au petit matin, c’était ma petite aventure !

Depuis, je ne fais plus ce voyage avec mes parents. Pourtant, un rituel est resté : je ne me rends jamais en Corse en avion.

Les îles Sanguinaires nous souhaitent la bienvenue dans le golfe d’Ajaccio
Ou bien préférez-vous l’arrivée à l’Ile-Rousse ?

Pourquoi je préfère prendre le ferry pour aller en Corse

L’une des raisons de mon désamour pour l’avion, c’est cette sensation de « téléportation » brutale d’un point A à un point B, un temps suspendu au-dessus des nuages qui ne laisse aucune place à la rêverie devant un paysage qui défile. Bref, pour moi, c’est le seul moyen de transport que je considère comme « ne faisant pas partie du voyage ». Voilà pourquoi je préfère passer un jour et demi entre train et bateau plutôt qu’une heure en avion. Sans compter que la plupart du temps, le combo TGV + hôtel + bateau me revient moins cher qu’un billet d’avion (en tout cas pour un passager piéton sans installation).

Et puis il y a ce bleu. Ce bleu de la Méditerranée, profond, hypnotique. Un spectacle dont je ne me lasse jamais, au point de passer l’essentiel de la traversée sur le pont du bateau.

Que du bleu !
Sous un ciel d’orage, la Méditerranée prend des teintes inquiétantes

J’aime l’ambiance un peu roots du ferry, les gens qui comme moi prennent le billet le moins cher, les « sans installation » c’est-à-dire sans siège ni cabine, et qui se posent où ils peuvent. Des passagers affalés sur une moquette défraichie, dormant à même le sol sous un escalier pour trouver un semblant d’intimité. Les transats de la grande terrasse arrière étant rapidement pris d’assaut, il m’est arrivée de passer des heures à lire face à la mer, assise sur l’une de ces grandes caisses d’acier qui renferment des gilets de sauvetage. Ou sur le rebord de la piscine, à discuter avec une mamie qui faisait aussi la traversée en solo. Et que dire de ce sympathique Marseillais, avec qui j’ai passé les 9 heures de traversée à discuter et à rire, et qui m’avait gentiment offert de la crème solaire parce que j’avais oublié de mettre la mienne dans mon sac-à-dos !

Un décor brut de décoffrage
Sur la bateau, il y a les gens stylés… et il y a moi !
Lecture assise par terre dans un couloir mais lecture quand même !

A peine embarquée, je laisserai ma valise à la consigne réservée aux passagers piétons et partirai en quête d’un petit coin de bastingage que je ne quitterai qu’au moment où je ne verrai plus aucune terre. Admirer la côte depuis le large est mon petit plaisir de la traversée. A ce titre, c’est le départ depuis Marseille que je préférais puisqu’il laissait le choix du paysage : à tribord les îles du Frioul et son célèbre château d’If, à bâbord la ville, son palais du Pharo, ses petites criques que je tentais de repérer puis les derniers hameaux de cabanons. Par gourmandise, je me gavais des deux côtés. On longeait ensuite les calanques de Cassis, tentait de deviner dans les brumes de chaleur les grues des chantiers navals de La Ciotat, puis c’était le cap Sicié et la presqu’île de Saint-Mandrier. En apercevant la haute silhouette du Mont Faron, au-dessus de Toulon, on savait que ce n’était plus qu’une question de quelques dizaines de minutes. Un dernier regard vers la presqu’île de Gien et les îles d’Hyères et nous voilà partis dans le Grand Bleu pour plusieurs heures. Je parle à l’imparfait parce depuis déjà de nombreuses années, il n’y a plus de traversées de jour au départ de la Joliette. Aujourd’hui, je pars plutôt de Toulon, ce qui me laisse tout loisir d’admirer l’impressionnante flotte de la Marine nationale ou d’assister au lever des couleurs sur le pont du Dix-Mude.

Ça y est, nous y sommes ! L’immensité bleue enveloppe désormais le bateau de tous côtés ; un bleu hypnotique, franc, profond. Il m’arrive parfois de perdre mon regard dans le contraste entre la blancheur de l’écume et ce bleu marine. Les plus grincheux ne trouveront ensuite qu’ennui et impatience. Objection votre honneur ! Le voyage lent invite à la lecture, à l’introspection, à la réflexion sur l’essence du voyage. Vaut-il mieux enchaîner les visites à un rythme effréné pour cocher le plus de cases sur une liste ou visiter moins pour en profiter plus ? L’expérience de la traversée est pour moi un bout du voyage, et je ne suis pas de celles et ceux qui considèrent que toutes ces heures passées sur le navire sont autant d’heures perdues sur place.

Entre deux chapitres de livre, je passe du temps à scruter l’horizon, à balayer la Méditerranée du regard. Tel Brice attendant sa vague, j’espère une visite inopinée. Attention, j’abats ici ma dernière carte, l’argument ultime qui fait pencher la balance en faveur de la traversée en ferry. Se rendre en Corse en bateau, c’est aussi avoir une chance de croiser le chemin des grands mammifères marins. Une grande partie du trajet s’effectue au cœur du sanctuaire Pelagos, qui abrite une forte densité de ces animaux. Ainsi, à force de traversées, j’ai pu apercevoir le souffle d’un rorqual commun et un groupe de dauphins sautant de joie (plus rare, j’ai aussi pu observer un zodiac de l’Armée française s’amusant dans le sillage du navire mais chut, c’est secret défense !). Si huit espèces sont particulièrement communes dans ces eaux de la Méditerranée, on peut aussi croiser des baleines à bosse ou des orques (si c’est le cas, joue au loto tout de suite).

Soudain, elle est là. L’île chérie dévoile ses premiers contours, ses premiers reliefs. C’est le moment de rejoindre le bastingage poisseux de sel pour ne le quitter qu’une fois le navire à quai. Privilège de passagers piétons : premiers à bord, derniers sur la terre ferme ! Un léger parfum de népita et d’immortelle embaume peu à peu l’air ambiant. C’est le signe que le voyage touche à sa fin.

Des questions ou besoin de conseils sur la traversée en ferry entre la Corse et le continent ? Laisse-moi un petit commentaire, je me ferai le plaisir de te répondre.

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22 commentaires sur “Bleu Méditerranée, ou l’éloge du voyage lent

  1. Superbe éloge du bleu en mode slow travel.
    Ce que j’adorais dans la traversée vers la Corse (à ce moment là nous arrivions à l’île Rousse) c’est de me positionner sur le pont à l’arrivée et sentir les odeurs du maquis. Ce fut ma première impression de la Corse, et à chaque voyage c’était mon plaisir !

    1. Je suis arrivée par l’Ile Rousse en 2019 et j’ai aussi ressenti ces parfums si caractéristiques. Contente de voir que je ne suis pas la seule à apprécier ces petits riens du quotidien. Merci en tout cas de ton commentaire adorable.

  2. Lorsque nous sommes allés en Corse nous avions pris aussi le ferry et nous avons apprécié ce voyage totalement inédit pour nous. Après c’est vrai qu’habitant en Ile de France cela fait un long voyage entre la route et le férry donc tout dépend le temps que l’on va passer sur place. Mais c’est très apaisant de voguer sur l’eau j’avais beaucoup aimé être bercée par les vagues.

  3. Très beau voyage qui donne envie ! Je suis allée une seule fois en Corse, et j’ai pris l’avion, habitant l’Ile de France et n’ayant pas des vacances à rallonge (et puis j’étais mineure, j’avais eu le choix non plus). Si je dispose d’assez de temps, c’est une option qui peut s’envisager, c’est très tentant ! 🙂

      1. Un voyage que je n’ai pas encore fait. Tu m’as fait rêver là… pour un peu, je partirais direct !

  4. Voyager en ferry est l’occasion de décompresser, on oublie tout, tout en étant bercé par les vagues. C’est l’occasion de contempler divers paysages qui s’offrent à nous, c’est très apaisant !

  5. Très bel éloge du voyage lent 🙂 Et j’adore ce bleu foncé bordé d’écume blanche moi aussi, c’est hypnotique ! On l’avait vu quand on était à Malte, entre les deux îles … tellement beau !
    J’espère un jour traverser une partie de la Méditerranée … mais pour aller en Sardaigne (je suis sûre que ça te surprend pas totalement 😉 )
    Merci pour cet article tout en douceur, ça fait du bien de bon matin !

  6. Ton article m’a transportée dans mes souvenirs. Nous aussi (quand je partais avec mes enfants et ex-mari:) ), nous prenions le ferry (à Marseille ou bien Nice ou Toulon) pour pouvoir faire la route avant. Nous aussi, nous ne prenions pas de cabine mais nous aimions errer dans le bateau. J’ai un souvenir impérissable : ma fille qui faisait du somnambulisme s’est retrouvé assise à l’autre bout de la salle où nous dormions, nous l’avons cherchée un moment!!
    Mon moment préféré : l’arrivée sur l’île (j’adorais arriver à l’île rousse) et sentir l’odeur du maquis. Ce fut ma première impression de Corse et elle est restée dans ma mémoire.
    J’adore ta façon d’écrire ! 🙂

    1. Ah oui quand on a le mal de mer, c’est plus compliqué de profiter. Aussi curieux que cela puisse paraître, on avait systématiquement de la mer forte autour du 15 août et du 25 août. C’est un peu moins vrai aujourd’hui.

      1. Oh que oui ! Pour te donner une idée, la plus grosse tempête que j’aie connu, ils avaient fermé tous les bars parce que les verres tombaient (alors que les équipements sont prévus pour), et on faisait des pompes sans effort sur nos couchettes ! Le ferry avançait en crabe pour ne pas se prendre les vagues de côté.

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