Ce jour-là… Récit d’une virée dans le Paris gothique

Initié par Sylvie, du blog « Le coin des voyageurs », le RDV inter-blogueurs « En France aussi », vous fait visiter la France chaque mois autour d’une thématique.
Ce mois-ci, grâce à Dora, du blog « Arpenter le chemin », l’aventure #EnFranceAussi vous emmène sur les chemins du gothique. Pour ma part, c’est à Paris que j’ai décidé de vous emmener, et plus particulièrement sous les arcs brisés de deux de ses édifices majeurs, Notre-Dame et la Sainte-Chapelle. Deux chefs d’œuvre incontournables du gothique du Nord de la France que j’ai eu la chance de visiter un beau jour de juin 2017. Aujourd’hui, près de 7 mois après le terrible incendie qui a touché Notre-Dame, cette journée mémorable résonne beaucoup plus tristement.

 

Je me souviens, c’était un lundi.

Ce jour-là, j’étais dans un état de sidération devant une boîte à images de 23 pouces. Le regard vissé à l’écran sans même un battement de paupière, l’œil embué, l’air hagard, je réalise à peine ce qui est en train de se passer. Dans le bus qui me ramène chez moi chaque soir, je venais de découvrir sur Twitter une info que je ne pouvais pas voir, que je ne pouvais pas croire. Alors, machinalement, à peine rentrée, j’ai allumé cette boîte à images et j’ai tapé frénétiquement sur le 1 puis le 5 de la télécommande. Et j’y suis restée jusqu’à tard dans la nuit, happée par ces flammes dévoreuses et ce suspense haletant. Résistera ? Résistera pas ? Résistera ! Nous sommes le 15 avril 2019 et le joyau gothique de Paris est en train de brûler.

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Notre-Dame orpheline de sa flêche

Ce jour-là me renvoie violemment à un autre « ce-jour-là ». Par l’entremise de Twitter (encore lui !), je me suis retrouvée seule à attendre une guide-conférencière du Centre des monuments nationaux (CMN) devant la Conciergerie, un certain 24 juin 2017, pour une visite guidée « Notre-Dame sous un autre angle », ou un truc dans ce genre. J’aurais pu ne jamais tomber sur ce tweet du CMN. J’aurais pu ne pas être interpellée par cette proposition de découverte. J’aurais pu regretter, presque deux ans plus tard, devant le spectacle désolant de cette charpente incandescente, de ne pas avoir sauté sur cette occasion unique de voir Notre-Dame de près.

Ce jour-là, j’ai eu de la chance. Seule et unique inscrite à cette visite, j’aurai la guide pour moi toute seule. Privilège rare qui durera deux heures et qui me mènera jusqu’à la Sainte-Chapelle alors même que l’édifice n’était pas initialement prévu dans le circuit de visite.

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Ce jour-là, ma guide et moi nous sommes pointées à l’entrée de la tour Nord de Notre-Dame. Un contrôle de routine, un pied de nez à la file d’attente squeezée au passage (les privilèges de la visite guidée) et nous voilà dans l’escalier qui nous mène sur les hauteurs. La vue est imprenable, et bien que j’avais vu maintes fois sur internet les éternelles photos de gargouilles, je n’ai pas pu m’empêcher de dégotter les moindres trous dans le filet de protection pour avoir ma propre version.

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Notre-Dame, c’était tout de même le meilleur spot pour une vue panoramique sur Paris. Position centrale, hauteur pas trop écrasante, les angles de vue proposés sont de premier ordre. Vue imprenable sur ce capharnaüm de zinc et de conduits de cheminées orange qui constitue l’essentiel des toits de Paris. Et puis, peu à peu, le regard se fixe sur quelques bâtiments qui émergent de cette mer grise. Ici Beaubourg, là l’Hôtel de Ville. Au loin les tours de la Défense. Et puis, forcément, la patronne de la ville, la tour Eiffel.

Prendre la dernière volée d’escaliers pour monter encore, jusqu’au sommet de la tour Sud, et atteindre en quelques marches à peine le clou du spectacle. 360 degrés ou presque de panorama, avec la Seine pour protagoniste et les grands monuments parisiens en guise de seconds rôles. Le dôme doré des Invalides, les clochers de Saint-Sulpice, la discrète église Saint-Séverin (tiens, encore du gothique !), la tour Montparnasse… Tout cela semble bien petit du haut de notre mirador. On poursuit la tournée d’inspection vers le quartier latin, avec le majestueux Panthéon qui émerge largement des toits en compagnie de sa voisine l’église Sainte-Geneviève, favorisés par leur position dominante au sommet de leur petite « montagne ». Au loin, un dôme inconnu, qu’on identifiera bien plus tard comme étant celui du Val-de-Grâce. C’est toute la rive gauche qui se pavane devant nous.

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Monter sur les tours de Notre-Dame, c’était aussi violer un peu son intimité. Voir de près ces statues et gargouilles qui, initialement, n’étaient destinées à s’offrir qu’au regard de quelques-uns devait être, autrefois, un immense privilège. Aujourd’hui, le trésor caché de générations de sculpteurs de pierre ou de quelques artistes du métal sont désormais la proie facile de chasseurs d’images venus du monde entier, téléphone ou appareil photo à la main. Les statues, les arcs trifoliés, les monstres cracheurs d’eau et tous ces délicieux petits détails architecturaux offerts par les bâtisseurs de cathédrale ; tout est à portée d’objectif. Même si je préfère – et de loin – le travail d’orfèvre inoubliable des arcs boutants du Duomo de Milan, la vue sur les trésors d’architecture de Notre-Dame n’en reste pas moins un excellent souvenir.

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En cette sinistre soirée de printemps, je repense à cette statue sur les hauteurs qui semblait surveiller, inquiète, l’impressionnante flèche de Viollet-le-Duc. Comme un mauvais présage… Je repense aussi à ces 12 apôtres, retirés quelques jours à peine avant l’incendie pour restauration, qui semblaient veiller sur cette partie de l’édifice, tels des anges gardiens.

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Ce jour-là, j’ai aussi vu de près Emmanuel. Emmanuel ? Oui, Emmanuel. Un mastodonte de bronze de 13 tonnes qui sonne en fa dièse. Dans la tour voisine, il y avait sa petite sœur, Marie, et d’autres encore dont j’ignore le nom. Ceux-là même qui auraient pu sonner le glas de Notre-Dame, après avoir sonné maintes fois celui des rois de France ou de toute autre personnalité d’importance. Sans l’héroïsme des pompiers, qui ont maîtrisé à temps le sinistre qui commençait à se propager aux deux tours, les grandes structures en bois qui maintiennent cloches et bourdons se seraient consumées. Emmanuel, Marie et les autres seraient tombés de tout leur poids sur cette structure fragile, emportant probablement avec eux dans leur chute les clochers entiers. Oui, ce jour-là, il s’en est fallu de peu.

Alors forcément, quand tu vois tout ça s’embraser, tu ne peux que repenser à ce jour-là d’heureuse mémoire.

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Ce jour-là, ma visite guidée privée ne s’était pas limitée à Notre-Dame de Paris. Un autre joyau gothique de la ville, presque voisin de Notre-Dame d’ailleurs, m’attendait sans rendez-vous. Une allusion rapide au détour d’une conversation avec ma guide conférencière. « Vous voulez visiter la Sainte Chapelle ? S’il nous reste un peu de temps, je vous y amènerai ! ». Il nous restait du temps. Toujours discuter avec son guide ! Ça se termine par une nouvelle entrée « VIP », esquivant la longue file de visiteurs à l’entrée du Palais de justice (parce que la chapelle se trouve dans son enceinte). Le temps imparti pour la visite étant écoulé, ma guide me laisse là, au milieu de ce décor gothique rayonnant hypnotique. La Sainte-Chapelle est probablement l’édifice gothique m’ayant le plus marquée avec la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi. Non pour ses dimensions, mais pour la richesse exceptionnelle de ses décors. Edifiée en un temps record (7 ans !) au XIIIe siècle pour abriter les précieuses reliques de la couronne d’épines, la Sainte Chapelle impressionne par l’extrême richesse de son ornementation.

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Ce jour-là, j’ai été happée par la finesse et l’élégance de l’édifice, par sa profusion de couleurs, par la hauteur de ses vitraux, par la finesse des colonnettes et autres éléments sculptés. Le niveau de détail n’offre aucun répit, aucune échappatoire à l’œil qui ne voudra pas en manquer une miette. Si la chapelle basse possède d’élégantes voûtes toutes de bleu et d’or vêtues, le clou du spectacle est offert par la chapelle haute. Une merveille sublimée par la restauration récente des 15 immenses panneaux de vitraux de 15 mètres de haut, où sont représentées les 1113 scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament.

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Ce jour-là, j’ai découvert un édifice qui défie les règles de l’équilibre. Mais comment ont-ils donc fait pour faire traverser les siècles à cette merveille ? Magie céleste ou génie des bâtisseurs ? Sur des hauteurs qui impressionnent, la Sainte-Chapelle est essentiellement habillée de vitraux multicolores, encadrés par des ensembles de colonnes fines comme des cierges. C’est précisément l’une des grandes avancées architecturales par rapport au style roman. Alléger les parois en faisant porter tout le poids de la structure sur des puissants arcs-boutants. Faire entrer un maximum de lumière par l’entremise de ces immenses baies. Instiller une lumière divine grâce au talent des maîtres verriers, véritables alchimistes de la couleur.

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Ce jour-là, je suis restée admirative devant la vivacité des décors et la précision inouïe dont ont fait preuve les artistes qui ont orné la Sainte-Chapelle. La longue séance de nettoyage achevée en 2014 souligne davantage encore la beauté des vitraux, joyau de lumière au cœur du joyau architectural. Dans ce vaisseau de verre, on passerait presque à côté des autres éléments du décor. Les statues polychromes, les colonnettes peintes, les frises délicates… chacun contribue à l’harmonie générale dans une ambiance majoritairement bleue – rouge – dorée. Le nez bloqué en l’air, comme bien d’autres visiteurs, je n’ai même pas remarqué tout de suite la beauté des carrelages qui offrent, avec leurs motifs floraux, une dose de couleurs supplémentaire. Un dernier regard en arrière pour admirer les décors inoubliables et la profusion de couleurs de cette chapelle conçue pour en mettre plein la vue. Sans transition, on passe à la grisaille et la froideur des bâtiments néoclassiques du Palais de justice, traversant un parking de poche et longeant un horrible bâtiment en préfabriqué. L’écrin de ce joyau n’est pas vraiment à la hauteur.

Oui, ce jour-là, j’ai tutoyé le génie et le grain de folie du gothique parisien.

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Visiter la Sainte-Chapelle

Ouvert tous les jours de 9h à 17h du 1er octobre au 31 mars, et de 9h à 19h du 1er avril au 30 septembre.
Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
Il est conseillé de visiter la Sainte-Chapelle le matin pour éviter la foule.
Dernier accès 30 minutes avant la fermeture.

Tarif : 10€ / 8€ avec tarif réduit.
Gratuité sous certaines conditions.

Possibilité de billet jumelé avec la Conciergerie

> le site internet de la Sainte-Chapelle

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De Notre-Dame…
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… à la Sainte-Chapelle

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15 commentaires sur “Ce jour-là… Récit d’une virée dans le Paris gothique

  1. je crois que nous avons tous eu la même émotion en regardant brûler notre Dame et en priant pour que le feu soit éteint et que le reste tienne le coup! Je ne pouvais pas imaginer Paris sans Notre Dame! C’est super que tu aies eu la chance de faire cette visite guidée seule. Une belle opportunité!

    1. Oh oui, c’était vraiment un privilège de me retrouver seule avec la guide. J’étais d’ailleurs très surprise d’être seule à l’attendre devant la Conciergerie. La visite a été géniale, comme si la guide était une amie de toujours !

  2. Tu as pu profiter de Notre-Dame dans ses moindres recoins, entre la vue et les détails des gargouilles ! Je suis du coin, mais je ne suis jamais allée en haut, je trouvais ça trop cher, trop blindé de touristes, si j’avais su ! 😀
    Je n’ai pas encore fait la Sainte-Chapelle, mais c’est sur ma liste de monuments parisiens à faire ! 🙂

    1. C’est sûr qu’on n’était pas toutes seules en haut ! Les détails sont jolis mais j’ai trouvé cela bien moins impressionnant que la montée sur la terrasse du Duomo, où la profusion des arabesques sur les arcs boutants est impressionnante. La Sainte-Chapelle, cela faisait des années que j’avais envie de la visiter, j’ai littéralement sauté sur l’occasion.

  3. Il est beau ton article, et plein d’émotion. Merci pour ce regard sur ces deux joyaux. La petite Parisienne que je suis a tellement de mal à croire que ces édifices que j’ai connus enfant puissent être fragiles aussi. Mais comme on dit chez nous : Fluctuat nec mergitur 😁

    1. Merci Paule-Elise pour ce gentil commentaire. Pour vivre dans une ville où la cathédrale (gothique elle aussi, j’en parle également sur le blog) s’est effondrée deux fois, je ne peux qu’être consciente d’une telle fragilité. Leur vieil âge nous le fait simplement oublier.

  4. J’espérais que quelqu’un parle de Notre-Dame pour ce rendez-vous, et je t’en remercie, ton billet est chargé d’émotion. Ces moments d’intimité avec la cathédrale sont précieux, merci de les avoir partagés avec nous. Les gargouilles doivent se sentir bien seules depuis avril. Je n’ai jamais visité la Sainte-Chapelle, je suis ébahie devant la finesse de l’architecture et ces vitraux !

    1. Merci Audrey pour ton adorable commentaire. Je culpabilisais presque d’écrire sur un sujet « bateau » et sur un site non visitable pour le moment. Les gargouilles de Notre-Dame vont bénéficier d’un peu de tranquillité. Ce qui me chagrine, au-delà de l’incendie, c’est l’instrumentalisation du sinistre par les politiques de tout bord. Je rêve qu’ils laissent les experts du patrimoine faire leur job, mais vu la tournure que prennent les événements, on n’en prends malheureusement pas le chemin. Quant à la Sainte-Chapelle, je recommande vivement la visite. C’est impressionnant !

  5. J’aurais adoré une telle visite car la seule raison pour laquelle je ne suis jamais montée voir les gargouilles de Notre-Dame, c’est mon manque de patience face aux touristes.

    1. Il y avait quand même du monde en haut mais c’était supportable, je suis toujours passée après les flux les plus importants. D’habitude, je ne suis pas fana des visites « incontournables » mais pour celle-ci, je ne le regrette pas.

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